De ker avel

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Bécasses des Villes

Bécasses des Villes

Il y a déjà une vingtaine d'années, à l'époque j'étais encore étudiant à la Fac d'AES de Brest où je brillais plus par mes absences que par mes résultats. Mes camarades de cours me surnommait chasse-pêche et traditions car je possédais une vieille Autobianchie rouge Ferrari rongée par la rouille dans laquelle il y avait toujours quelques cannes à pêche, un ou deux fusils et ma caisse à chiens avec parfois mes fidèles compagnons en stand by. C'étaient des années exceptionnelles, de fêtes, de chasses et de pêches mais aussi de conflits familiaux car mes parents n'étaient pas complètement dupes sur mes horaires et ma qualité de vie.

Un vendredi soir début Novembre, après les cours, je quittais la fac dans les derniers en discutant avec une amie, nous marquions une courte pose sur les marches du bâtiment le temps de s'allumer une cigarette lorsque passa assez furtivement une bécasse au-dessus de ma tête.


  • Ce n'est pas vrai, une bécasse !!….

  • Qu'est ce qu'il y a ?

  • Je suis pratiquement certains d'avoir vu une bécasse !

  • Et alors…

  • Et alors c'est étonnant en ville, tu te rends pas compte.

  • Tu me ramènes en voiture jusqu'à mon appart ?

  • Oui pas de problème.


Je dépose la copine devant son appartement, cage à poules d'étudiants juste à la périphérie de la ville, je fais demi tour et me gare rapidement devant un petit bourrier de landes, ronces, ajoncs, terre retournée où il allait sûrement continuer des travaux, pour satisfaire une envie pressante. Je laisse le moteur tournée et m'avance de quelques mètres dans les feux de ma voiture et là, fla, fla, fla, fla, fla. Une bécasse démarre quelques mètres devant moi et là pas de doutes possibles. Je rentre chez mes parents comme un fou, énervé, excité de ces visions nocturnes.


  • Je viens de voir deux bécasses depuis la Fac, je t'avais dis Papa, toutes les conditions sont réunies pour qu'elles arrivent, et là on va faire le plein, y en a partout. Demain je vais aller chasser sur la Penn Ar Bed du côté de l'Allée St Charles, en arrivée c'est extra !

  • Tu commences à vraiment nous fatiguer, avec tes histoires de cabots, de chasses et de bécasses. Il est grand temps que tu commences à dépassionner un peu, ta mère en a marre de n'entendre parler que de ça à la maison et tu commences à halluciner si tu vois des bécasses à la Fac à moins que tu suives tes cours par correspondance de la vallée de Larret. Je n'entends pas parler de partiels, de résultats !! Les profs doivent encore faire grève… De toutes-façons, pas de chasse demain, tu as promis de déménager ton grand-père.


J'avais effectivement oublié que mon grand-père venait de vendre sa maison secondaire et avait besoin d'un coup de mains. Voilà mon samedi bien occupé par ce déménagement.

Je raconte rapidement mon histoire de la veille à mon grand-père qui semblait assez septique sans être vraiment étonné et qui me dis," nous verrons bien Dimanche à Kerhat", petite chasse familiale où nous nous retrouvons souvent le Dimanche.

Mon grand-père habitait une petite rue perpendiculaire au Boulevard Gambetta, juste au-dessus de la Gare de Brest, en plein centre. Mon dernier colis vidé de la voiture, j'embrasse mes grands-parents et je file.

 

 

 

 

 

 

 

 Me voilà au volant de ma voiture au carrefour de cette petite rue et du boulevard. De l'autre côté du boulevard, quatre demoiselles d'une douzaine d'années, style BCBG filles d’officiers de Marine, qui devaient rentrer de leur cour de danse ou de musique, regardaient le caniveau avec beaucoup d'inquiétude et se tenaient la tête entre les mains à chaque passage de véhicules. Je regardais la scène surpris et curieux sans pouvoir distinguer ce qui leur causait un tel émoi, il faisait déjà bien nuit.

Je décidais de poursuivre ma route mais au bout de quelques dizaines de mètres sur le boulevard, je voulais savoir et je ressentais le besoin de m’arrêter. Je me gare en catastrophe sur le trottoir. Je descendis de voiture et fis quelques mètres en arrière pour me retrouver en face des demoiselles.

Soudain entre deux véhicules, je vis une bécasse vraisemblablement blessée traverser le boulevard en ramant des ailes. Elle finit sa course à mes pieds….

J'étais sidéré de ce spectacle. Je ramasse la bécasse, elle avait une aile et une patte de casser et me voilà entourer de mes quatre petites copines.

  • Bonsoir Monsieur, vous savez ce que c'est comme oiseau ?!

  • Oui c'est une bécasse !

  • Je le savais aussi car mon papa est chasseur.

  • Qu'est-ce que vous allez en faire ?

  • Je vais la ramener chez moi et la mettre en volière pour essayer de la sauvée

  • Oh bien je préfère ça car si je la ramène chez moi, je suis sûr que mon papa voudra la manger.

  • Bon je suis partie mes demoiselles, au revoir.

  • Au Revoir Monsieur.


Me revoilà au volant, fier de mon nouveau copilote et je rentre tranquillement chez mes parents.

 

Arrivée à la maison j’étais juste à l’heure pour passer directement à table.

Mes parents me demandent rapidement si cela s’est bien passé, je confirme que Oui.

  • Par contre j’ai une nouvelle amie à vous présenter…. ?!!

  • Qu’est-ce que tu dis ?

  • J’ai une nouvelle amie dont j’ai fait la connaissance ce soir, elle s’appelle Marie, plus exactement Marie Lenerue (nom de la rue de chez mon grand-père faisant l’angle avec le boulevard où la belle avait fini sa course à mes pieds).


Et je pose MA bécasse en plein milieu de la table où nous allions souper.

Mon père, ma mère, ma sœur regardaient éberluer la bécasse, qui était d’un calme olympien surveillant de ses grands yeux noirs cet environnement nouveau et si particulier.

 

  • Je rêve, je fantasme, j’hallucine !! Apparemment pas tant que cela, la Preuve….


 

Je bichais, j’étais fier, je n’avais plus aucun doute, c’était bien des bécasses que j’avais vu la veille au soir, en plein Brest. Je n’étais pas fou.

Le repas fût rapidement expédier pour m’occuper de ma protégée.

Je trouvais une vieille cage assez grande qui avait servi autrefois à des canaris, mandarins et plus récemment à un petit élevage de cailles….

Me voilà maintenant dans le jardin la frontale sur la tête pour chercher des vers à ma belle.

Au bout d’une heure de recherche, j’avais quelques beaux lombrics.

Je lui servis son repas mais rien à faire. Elle ne mangeait pas.

Je lui laissé un peu t’intimité, imaginant que la vue d’un petit blond excité devant la cage, ne devait pas la rassurée. Rien, elle ne mangeait pas plus.

 

Me voilà en train de retourner le jardin des parents, un vrai terrain de manoeuvres pour récupérer de la terre noire pour lui mettre dans le fond de la cage.

Je cachais les vers dans la terre en espérant que ce soit plus naturel et qu’elle allait enfin manger. Toujours rien, elle n’en voulait pas.

 

Le lendemain Dimanche, jour de chasse, nous voilà partie sur notre chasse de Kerhat où je me régalais de raconter mes histoires de la semaine.

Effectivement elles étaient bien arrivées, bien là. Nous avons dû faire le matin une trentaine de levées d’oiseaux différents et quasi autant l’après-midi, du grand n’importe quoi comme cela pouvait parfois arriver.

Une chouette journée mais au final, avec trop d’oiseaux les jeunes chiens chauffent et font parfois plus de conneries que de bons boulots.

Nous rentrons de cette journée d’excitation et tout de suite je vais constater si ma belle a mangé. Non toujours pas.

Chaque jour je restais là à l’observer, à la regarder dans les moindres détails.

J’étais en admiration devant cet oiseau si sauvage, qui était là, calme devant moi alors que normalement elle ferait preuve d’une telle énergie, d’une telle volonté.

Elle avait déjà peut-être parcouru des milliers de kilomètres.

Je passais des heures devant cette cage comme on peut regarder un aquarium, m’imaginant ce que pouvait être sa vie avant son accident.

 

Mon Père dès le deuxième jour me dit :

  •  Tu vas la faire mourir.


Tu ne la garderas jamais en état, en captivité, elle va se laisser mourir. Lâche là !


  •  Je ne vais pas la faire mourir alors que je lui ai déjà sauvé la vie, elle va se nourrir.

  • Non tu verras, elle va se laisser mourir !


Je surveillais son poids et tous les jours elle maigrissait.

Elle ne se nourrissait pas, il n’y avait rien à faire. Je m’étais donné bonne conscience en lui confectionnant une atèle pour la patte et l’aile.

J’avais bien conscience qu’elle n’allait pas bien mais pourtant son œil était toujours aussi brillant. C’était ma bécasse, mon histoire.

En plus si j’étais certains de pouvoir la lâcher dans un endroit sans pression, une réserve où elle aurait éventuellement eue sa chance mais là en plein début de saison avec beaucoup d’oiseaux. La campagne est retournée, tous les bécassiers étaient dehors.

 

Au bout de cinq jours, j’étais décidé à la libérer, c’était promis le lendemain j’allais lâcher La Belle en espérant lui trouver un coin tranquille.

Le lendemain matin, elle était morte dans sa cage, elle ne pesait plus que 160 Gr.

J’avais honte, j’étais même mort de honte. J’étais aussi triste que cette histoire si étonnante et peu commune se termine ainsi. Evidemment que j’aurai dû la lâché bien plus tôt, elle n’aurait d’ailleurs peut-être pas plus survécu mais j’aurai dû le faire. J’ai voulu faire durer le plaisir… Je l’ai enterré dans le jardin des parents comme on enterre un de ses vieux compagnons à quatre pattes qui vous a donné tant de plaisir pendant des années, avec respect.

 

J’ai toujours eût un grand respect pour cet oiseau grâce à l’éducation et à l’éthique que ma famille m’a enseigné pour la chasse, pour cette chasse. Mais depuis cette histoire je respecte  encore un peu plus cet oiseau mythique.

Pendant des années j’étais plutôt fier de restituer mon carnet de prélèvement bécasse plein à chaque saison. On a connu le PMA à 50 puis à 30, 3 oiseaux par sortie, puis par semaine. Et plus les saisons passent, plus je vieillis, moins j’ai envie de leur tirer dans le cul. Est-ce que la quarantaine est l’âge de raison ? Non, je ne crois pas !

Quand on prélève 15/20 oiseaux, seul, dans une saison et en forêt, c’est déjà bien et suffisant.

Malheureusement nous constatons encore des équipes de dingues qui chassent à plusieurs fusils avec 5 chiens dans les doubles allées et tout ce qui sort, PAN.

Nous avons récemment perdu un grand militant de la gestion et de la préservation de la Bécasse en France et en Europe. Je le trouvais parfois excessif il y a 20 ans mais non, il était simplement visionnaire, précurseur dans cette gestion et comme il avait déjà raison.

 

Il faut absolument respecter cet oiseau et d’ailleurs tous les gibiers sauvages, il en va de l’avenir de notre passion, chasser aux chiens d’arrêt.